vendredi 22 janvier 2016

Principe éthique fondamental

Les hommes ne naissent ni libres ni égaux ; certains peuvent éventuellement le devenir, mais au prix d'un très long travail et d'innombrables souffrances. La liberté  et l'égalité sont de nobles idéaux, mais nous naissons tous esclaves de nos besoins, enchaînés à un tas de choses et insérés dans des hiérarchies multiples qui nous définissent. Se libérer, et devenir l'égal de ceux qui ont atteint un certain niveau, ne s'acquiert qu'au prix d'un très long travail et d'innombrables souffrances. C'est comme ça depuis toujours et ça n'a pas de raison de changer, surtout que personne ne le veut vraiment ; c'est tellement bon de dominer et de se sentir supérieur, même si tu ne veux pas l'admettre tu le sais au fond de toi, alors inutile de nier, je sais ce que tu caches. Comme disait le Prophète : "redoutez l'intuition du croyant, car il voit avec l'oeil de Dieu". Donc, redoute mon intuition, petit, mieux vaut avouer ce que tu ne peux pas nier.
Un très long travail et d'innombrables souffrances. Ceux qui n'ont pas payé ce prix ne pourront jamais être, ni des hommes libres, ni égaux à quoi que ce soit à part à la boue dont ils sont pétris ; et ceux qui l'ont payé, et qui sont devenus libres à la fin, et égaux entre eux, ne seront toujours qu'un très petit nombre.

Mais prétendre que les hommes naissent libres ou égaux, ou qu'ils pourraient tous l'être ou le devenir un jour, ce serait une ineptie philosophique colossale, la première chose qu'il importe de contester radicalement si l'on veut commencer à y voir clair.
Voilà un principe ; je l'ai toujours connu, mais il m'a fallu longtemps pour arriver à le formuler de façon aussi claire et précise. C'est un trésor que je vous donne, gratuitement ; faites-en bon usage et ne le dilapidez pas. Merci.

Note : Je n'arrête pas, depuis quelque temps, de vanter les bienfaits de la domination, la jouissance qu'elle procure, on va finir par croire que je suis un vrai pervers dominateur, que je n'ai que ça en tête... Ceux qui sont vraiment intelligents, parmi ceux qui me lisent, savent qu'il faut être beaucoup plus subtil avec moi, enfin je l'espère... S'il y a une jouissance dans le fait de dominer, il y en a une aussi grande dans le fait d'être humilié, volontairement ou non, d'être dominé par quelqu'un que l'on sent infiniment supérieur... Cela aussi existe, et si ce n'était pas le cas, si tout le plaisir était pour les bourreaux, ce ne serait vraiment pas juste, en tout cas c'est tout le contraire de ce que j'affirme. Dominer est bon, mais il y a aussi une jouissance extrême dans l'humiliation, et je la connais bien ; j'y suis descendu à fond, ne vous inquiétez pas, sinon je n'oserais pas vous parler du plaisir de la domination... Je n'oserais pas vous en parler ainsi si je n'avais pas goûté à fond le plaisir de l'humiliation, je pourrais vous en parler pendant des heures, et si je ne l'ai pas encore fait c'est que chaque chose en son temps. Donc, si vous pensez que je parle ainsi parce que je manque d'humilité ou que je n'ai pas été assez humilié, ou que je suis vexé de l'avoir été, arrêtez de me lire, ça vaudra mieux pour tout le monde.

dimanche 22 novembre 2015

Prophétie et Sainteté

Aujourd'hui, j'ai (encore) eu une révélation : Jésus est réellement le dernier des Envoyés, celui qui clôt le cycle prophétique ; les chrétiens ont raison sur ce point. Le Prophète Muhammad, qui a beaucoup de points commun avec Marie au point que l'on peut les considérer comme la manifestation féminine et masculine d'un même principe (la Miséricorde-Rahma), représente en réalité le commencement d'un nouveau cycle ; il ne vient pas tellement clore mais plutôt ouvrir. Celui qui clôt, achève, c'est réellement Jésus. Il est le Dernier ; la venue de Sidnâ Muhammad correspond à la manifestation du Premier. Je le savais déjà, qu'en tant que premier des Envoyés, premier des êtres existenciés, etc. il devait nécessairement se manifester à la fin, mais voilà : il faut aller plus loin encore ; Jésus est la fin, le terme réel du cycle ; après lui, Muhammad représente un retour au premier moment, la manifestation de ce qui était au tout début du cycle et donc un commencement nouveau, intégral. C'est le cycle de la Wilâya islamique, la série des "saints" musulmans, les grands initiés soufis, qui forment une nouvelle manifestation intégrale du Verbe. Prophétie et Sainteté, Nubuwwa et Wilâya, sont étroitement corrélées, l'islam distingue les deux, mais ne les sépare pas ; elles ne vont pas l'une sans l'autre. Vous connaissez la "doctrine des trois sceaux", que M. Vâlsan a été le premier à exposer en Occident. Mais voilà, j'avais toujours été frappé par le fait que deux personnages aussi singuliers, aussi démesurément surhumains que Jésus et Muhammad, se succèdent si rapidement, à quelques siècles d'intervalle, sans rien entre les deux... Il aurait pu y avoir quelques prophètes de moindre importance, intermédiaires, mais non ; deux coups de foudre divins aussi rapprochés, qui frappent l'humanité l'un après l'autre, mais presque en même temps en fait... pourquoi ? J'ai trouvé l'explication aujourd'hui, presque sans y penser ; ça m'a frappé comme ça : il s'agit en fait d'un même moment du cycle, moment final qui est en même temps un commencement radical, le début d'un cycle nouveau ; mais Jésus représente l'aspect terminal de ce moment, Muhammad l'aspect final et en même temps la manifestation du premier moment. Muhammad est le premier moment du cycle, Jésus le dernier. Approximativement... il faudrait développer.
Borella a raison aussi, pour moi, quand il dit que l'islam peut s'expliquer d'un point de vue chrétien, comme un retour à l'ancienne loi, mais retour nécessaire, qu'il représente "ce que l'ancienne loi pouvait intégrer du Christ", en quelque sorte ; sauf que ce serait plutôt ce que le Christ peut réintégrer de l'ancienne loi, en fait, et aussi, que l'islam, comme retour en arrière, n'est pas un retour à l'ancienne loi au sens de loi mosaïque, un retour aux prophètes de type israélite, ça ne correspond pas ; l'islam ressemble beaucoup plus à ce que serait un retour à ce qu'il y avait avant cela, avant la série des prophètes d'Israël, c'est-à-dire descendant de Jacob et d'Isaac, un retour aux temps tout à fait primordiaux, et cela bien sûr Borella ne peut pas le voir parce qu'il ne connaît pas l'islam en profondeur et méconnaît certains de ses aspects, mais cela n'a guère d'importance... Un retour aux temps premiers, au tout début du cycle, de toute façon, et ibn 'Arabî le dit très clairement : Muhammad est le Législateur universel, l'auteur caché de toutes les lois divines, la Matrice du Verbe donc : Marie ! Sa manifestation à la fin des temps correspond à la manifestation du Premier, certes, ibn 'Arabî à l'appui. Mais je dis que cette manifestation était possible parce que Jésus, avant cela, était déjà venu clore le cycle, en révélant l'Esprit - l'Esprit de Dieu c'est lui, Coran à l'appui - et le sens caché de toutes les révélations antérieures. Il y a un "déplacement de sceaux" à faire : revenir du "sceau de la prophétie (légiférante)" au "sceau de la sainteté universelle", c'est-à-dire le Christ, mais celui de la "seconde venue", qui est le même, mais opérant dans le cadre de la loi islamique, c'est-à-dire, comme clôture à la fois du cycle total et du cycle islamique, ce qui prouve bien que d'un point de vue intérieur, c'est toujours le Messie qui clôt, le Verbe crucifié, symbole par excellence de la Conversion ! Cela ne veut pas dire, évidemment, que le christianisme en tant que forme traditionnelle est la synthèse finale (au sens où l'entendait M. Vâlsan) plutôt que l'islam ; non, mais pour un musulman, bien sûr, c'est à la lumière des enseignements islamiques qu'il faut élucider la forme christique du Verbe, sans  négliger les enseignements de la théologie et de la mystique chrétiennes, Rusbrock, Maître Eckhart, etc. Eux aussi peuvent être interprétés dans une perspective islamique. C'est comme ça qu'on voit que toutes les traditions se complètent. Il y a un rapport entre Marie, l'Esprit-Saint et Muhammad, entre Jésus et le Coran (d'un point de vue islamique, Jésus représente à la fois le souffle de vie et la science des lettres, ce qui n'est pas rien !), et un rapport entre Muhammad, Jésus et le reste des Envoyés, et les trois moments de la procession néo-platonicienne : Manence, Procession, Conversion, que l'on peut aussi relier évidemment aux trois Personnes de la Trinité et aux trois principes fondamentaux - aux trois qualités divines fondamentales - que l'islam désigne sous le nom de Jamâl, Jalâl et Kamâl, ou Beauté, Transcendance, Perfection.
Tout cela est juste symbolique... je nage dans la théophanie du Verbe ; les choses se révèlent graduellement à moi. Je monte des échelons et je remercie Dieu.

jeudi 19 novembre 2015

L'insupportable irrationnalité de la raison moderne

Comme disaient les Inconnus (humoristes subtils qui ont enchanté mon adolescence) : tant va la cruche à l'eau qu'à la fin tu me les brises. Faut dire ce qui est, zut. J'ai passé ma jeunesse dans le délire marxiste, et entouré de gens persuadés de l'éminente supériorité de la civilisation occidentale moderne sur tout autre à un point tel qu'ils vous auraient même pas compris si vous aviez manifesté un doute, et vous auraient pris pour un fou s'ils vous avaient compris. Allez vous faire foutre. Quand j'avais 16 ans, j'ai commencé à avoir des doutes. Aujourd'hui je viens d'en avoir 40, je suis passé par tous les cercles de l'enfer, et c'est plus des doutes mais une certitude.
Marx et les marxistes, rappelez-vous, prétendaient expliquer la religion, la spiritualité, toute la culture, par l'économie, c'est-à-dire en définitive, la bouffe et le fric, considérés comme les seules forces qui déterminent la vie humaine. Tout le monde, dans la société occidentale, l'a plus ou moins suivi, du reste il n'était ni le premier ni le seul à penser ça, mais il est le seul, je crois, à avoir eu l'idée de comparer ça à la découverte de l'héliocentrisme ou de l'Amérique, un truc du genre. D'un autre côté, Freud lui prétendait expliquer les mêmes choses à partir du désir érotique refoulé du petit enfant pour sa mère, désir contrarié par le père et la société. Qu'est-ce qui vous semble le moins délirant ? Faites votre choix. Moi personnellement, j'opterais pour Freud, à tout prendre. Bien que je croie autant à la capacité de Freud à expliquer la religion qu'au père Noël, au moins le sexe me paraît une force beaucoup plus fondamentale que la bouffe, et je suis prêt à admettre que la vie psychique soit totalement ou fortement déterminée par la sexualité et l'érotisme, sous toute ses formes. Sauf que la conception freudienne de la sexualité est nulle : purement utilitariste, matérialiste, reposant en définitive sur une prétendue pulsion reproductrice. En somme, il admet sans autre forme de procès qu'il existe en tout être humain une tendance naturelle à vouloir perpétuer l'espèce, on se demande bien pourquoi, ou une sorte de croyance irrationnelle que la reproduction va lui procurer une sorte d'immortalité individuelle, en fait complètement illusoire... Un auteur musulman disait au contraire que Dieu a donné le désir sexuel à l'homme pour l'inciter à se reproduire, car sans cela il aurait horreur de l'accouplement, ce qui n'est pas absurde ; dans ce cas, ce serait plutôt la pulsion sexuelle serait plutôt la cause de l'instinct de reproduction que sa conséquence : c'est au plaisir, à la jouissance que tend en définitive l'être humain, la survie de l'espèce il s'en fout... Bon, cette explication est encore beaucoup trop vague et matérialiste, elle ne me satisfait guère, mais pourquoi pas tant qu'à faire ? Le soufisme, lui, explique la sexualité par le besoin de l'homme de retrouver l'unité primitive de l'Adam androgyne, perdue quand Dieu en a prélevé la partie qui est devenue Eve. C'est une explication symbolique, métaphysique, proche de celle de Platon, beaucoup plus satisfaisante. C'est celle qu'adopte Evola dans sa Métaphysique du sexe, en la développant, de telle sorte que la sexualité apparaisse finalement comme une force fondamentale ancrée dans les principes ontologiques et cosmologiques originaires, le Masculin et le Féminin éternels, présents en chacun de nous par participation. Cette explication-là, qui s'accorde avec les principes traditionnels auxquels j'adhère, me satisfait pleinement, et je n'ai aucun mal à reconnaître que la sexualité, en ce sens, comme force métaphysique ancrée dans les principes supra-individuels de l'ontologie, détermine la vie psychique de l'être humain, mais cette conception beaucoup plus "philosophique" n'a plus qu'un très vague rapport avec celle de Freud ; c'est toujours la sexualité, certes, mais ce qu'Evola et moi entendons par ce mot est tout différent. Néanmoins, cela suffit pour considérer que la tentative freudienne d'explication est beaucoup moins ridicule et canulardesque que la tentative marxiste, d'expliquer les aspects les plus complexes et variés de la vie humaine, de la culture et de la société par le seul besoin de bouffer. Et le besoin de baiser, merde ? Je t'en foutrai, de l'économie. (Dites-moi pas, au moins, que la baise est économique aussi, ou alors autant dire que le commerce est un acte érotique, ce qui est un peu vrai mais n'entre pas dans le cadre marxiste... dans ce cadre, l'économie c'est la production des moyens de subsistance, point barre et essayez pas de m'embrouiller ; la sexualité, à part si vous allez aux putes et encore, ce qui n'est pas mon cas, répond à des besoins purement relationnels qui n'ont rien à voir avec la production d'un bien de consommation, pas même d'un "service", c'est de la connerie pure de dire ça.)
Et vous continuez à considérer tout cela comme sérieux... et à vous demander pourquoi les peuples non occidentaux vous haïssent de vouloir leur imposer cette merde à coups de mégabombes ? Vous êtes à la masse, les gars, faut vous réveiller...

Occidentaux, encore un effort pour commencer à devenir des hommes.
 

dimanche 5 avril 2015

La croix et le croissant


Que représente cette image ? Je suis peut-être le seul à le savoir, et apparemment c'est ce qui justifie ma présence sur terre ; si vous saviez ce que je sais, vous reconnaîtriez dans cette figure un symbole métaphysique absolument fondamental, même s'il ne s'agit pas d'un symbole traditionnel à proprement parler. On peut y voir, au premier abord, quelque chose comme une tête de bélier, ou de bouc ou de tout autre animal à cornes, et une maison, ou un genre de pyramide, bref une construction quelconque. Pour moi, c'est le bélier et la maison. La maison est le temple, le sanctuaire, quant au bélier... il n'échappe sans doute à personne que le bélier est un symbole universel de l'Esprit ; on pense à l'Agneau mystique, à l'Agni védique ou encore au mouton que les musulmans sacrifient chaque année, lors de leur principale fête, en souvenir du sacrifice d'Abraham. Dans tous les cas, le symbole est le même. Le sacrifice en soi est un symbole de la réalisation métaphysique, et comme tel il revêt un double sens, selon que l'on envisage la réalisation dans son aspect ascendant ou descendant. Selon le point de vue ascendant, c'est le sacrifice de l'âme individuelle, de l'ego ; mais selon le point de vue descendant, qui est en un sens supérieur, c'est le sacrifice de l'Ego divin et transcendant Lui-même, qui s'offre en quelque sorte à l'immolation et au dépeçage pour que le monde - Sa manifestation - puisse être. Quant au sanctuaire, il est le séjour de l'Esprit divin sur la terre, et le monde lui-même, s'il apparaît comme la croix ou le gibet où le Verbe expire, - comme dans le vers de Francis Jammes, "Par les quatre horizons qui crucifient le monde, etc." - apparaît aussi comme le sanctuaire où l'Esprit repose. Chaque temple abrite un autel où quelque sacrifice se produit régulièrement, et inversement, tout sacrifice exige un lieu et un espace sacré et même consacré. Ainsi, le temple et le sacrifice sont intimement liés, et l'islam, justement, associe les deux, puisque le principal rite sacrificiel est lié au pèlerinage à la Maison sacrée, centre du monde, dont Abraham est le bâtisseur. 

Mais revenons à cette image ; en réalité, il s'agit du théorème de Desargues. Le théorème de Desargues est un théorème de géométrie projective, et c'est un des théorèmes mathématiques les plus importants, bien que peu de gens soient conscients de son importance - ainsi que de sa signification méta-mathématique et transcendantale.
Le théorème de Desargues peut se formuler d'un grand nombre de manières différentes, mais fondamentalement, ce qu'il affirme, est l'équivalence essentielle de la géométrie et de l'algèbre - du moins pour une certaine classe d'algèbres et de géométries, mais je ne vais pas entrer dans des détails techniques trop compliqués et inessentiels dans ce contexte. L'important c'est que pour la géométrie ordinaire, euclidienne, c'est le théorème de Desargues qui exprime la possibilité de décrire les figures par des nombres, de les étudier par des nombres ; c'est ce théorème, découvert inopinément par un architecte du grand siècle qui ne s'occupait pas du fondement des mathématiques, qui assure au final l'équivalence essentielle entre la science des nombres et la science de l'espace, et la conversion réciproque de l'une dans l'autre - qui s'apparente bien à une sorte de sacrifice.
Il y aurait quantité de choses à dire sur la géométrie projective ; j'adore cette discipline, car elle repose sur un principe de dualité qui est, en quelque sorte, l'expression mathématique la plus achevée possible de la dualité en général, de toute forme de dualité. Les rapports dialectique entre les idées métaphysiques d'unité et de dualité trouvent en elle et en elle seule leur formulation mathématique la plus adéquate ; le théorème de Desargues en est en quelque sorte la clef de voûte.
En deux dimensions, le principe de dualité projective affirme l'équivalence entre la structure algébrique des points d'un plan, et celle de ses droites. Le point représente l'être dans son état le plus primordial, contracté à l'extrême, un et indivisible, tandis que la droite représente l'horizon déployé des possibilités selon lesquelles l'être s'actualise ; il s'agit de deux états complémentaires et opposés, que relie un principe de dualité rigoureusement équivalent à la dualité point-droites en géométrie projective ; d'ailleurs la manifestation elle-même est traditionnellement décrite comme une projection - l'image, utilisée par René Guénon dans le Symbolisme de la Croix, du rayon existentiateur et du plan de réflexion n'exprime rien d'autre que cela, or la géométrie projective n'est justement rien d'autre que l'étude des propriétés générales des projections ; par conséquent, tout se tient avec une logique parfaite.
Mais revenons au théorème de Desargues. Dans sa formulation classique, il affirme en substance que, là où il y a un centre de perspective, il y a aussi un axe - l'équivalent d'un horizon. De manière plus concrète, il affirme que si deux triangles sont en perspective - c'est-à-dire que les droites joignant leurs sommets respectifs sont concourantes - alors leurs côtés homologues se coupent selon une même droite - la ligne d'horizon associé au centre de perspective. Cela équivaut à postuler que la figure du "bélier et de la maison" ci-dessus peut être complétée de cette manière :


la figure en rouge et la figure en vert sont deux pentagones dont chaque sommet de l'un (le vert) appartient à un des côtés de l'autre. Le théorème affirme que si la réciproque est vraie pour quatre des sommets du rouge, il en va de même pour le cinquième. La figure est alors totalement réversible : les pentagones rouge et vert jouent un rôle symétrique. En termes symboliques, le bélier est la maison et la maison est le bélier, ou encore : l'Esprit est le monde, le monde est l'Esprit - bien que cette identité ne puisse se réaliser que par un renversement, ou un redressement, qui représente toujours un sacrifice.
Dans la configuration du théorème, il y a en fait deux centres de perspective : les deux "cornes du bélier" ; l'équivalence mathématique entre nombres et figures s'exprime par le fait que ces deux centres peuvent être intervertis, c'est-à-dire que les deux perspectives "commutent". Ainsi, ce n'est absolument pas un hasard si cette configuration prend justement l'apparence d'une tête de bélier, car les cornes du bélier représentent précisément les deux pôles de la dualité cosmique, qui apparaissent comme deux centres de perspective harmoniquement corrélés - le théorème affirme en effet que le centre de chaque perspective est sur l'axe de l'autre et vice-versa : ce qui apparaît comme manifesté et déployé selon la première coïncide avec ce qui apparaît comme voilé et contracté selon la seconde ; il y a une double adéquation parfaite entre le théorème mathématique, son interprétation métaphysique évidente, et un symbole traditionnel présentant à la fois une identité de signification et une analogie de forme. Il n'y a vraiment pas de hasard dans la création !

Ceci nous amène directement au titre de cet article, la croix et le croissant. Comme celui de la croix, le symbolisme du croissant est multiple, complexe, et il y aurait beaucoup plus à en dire que je ne peux et ne veux en dire ici. De façon générale, c'est le symbolisme de la demi-circonférence (complétée éventuellement par le point central, l'étoile au creux du croissant) avec tout ce qu'il comporte comme analogies possibles : l'arche, le calice, etc. Mais d'autre part, il y a aussi un lien évident avec le symbolisme des cornes, ce qui nous ramène une fois de plus au bélier. 
Au passage, notons que les cornes font aussi penser au diable, évidemment ; même cela n'a rien de fortuit : tout symbole est ambivalent, comme le disait René Guénon, et la dualité comporte un aspect négatif et un aspect positif. Les cornes du diable et celles du bélier représentent ces deux aspects, ce qui veut dire aussi que Satan et l'Esprit-saint sont deux faces d'une même réalité ; thème qui a été longuement développé par Léon Bloy notamment, et qui ne doit pas surprendre ; car métaphysiquement, du point de vue suprême, il n'y a réellement pas de dualité, toute la réalité est une. Ceux qui sont parvenus au suprême degré de la contemplation, tel ibn 'Arabî, dans toutes les religions, voient le diable et l'enfer eux-mêmes comme des principes positifs, car ils sont nécessaires à l'équilibre du tout. Cependant, Satan est Satan, le Paraclet est le Paraclet.
Le croissant pointant vers le haut évoque sans aucun doute une paire de cornes ; de fait, ses deux extrémités peuvent être vues comme un symbole de la dualité cosmique, tandis que le point au centre représente le principe un qui transcende et unifie cette dualité. Cependant, le croissant ne représente pas exactement une demi-circonférence ; il est plutôt la figure formée par deux circonférences qui s'intersectent, et il comporte, vu ainsi, un symbolisme plus subtil, qui va nous ramener encore vers la géométrie projective.
Une autre raison pour laquelle j'aime la géométrie projective est qu'elle permet de voir que le symbolisme du croissant est exactement le même que celui de la croix, ou plutôt, il le complète : le croissant est l'achèvement de la croix, en un sens qu'il faut maintenant préciser. En géométrie projective, une droite est une courbe fermée, structurellement identique à un cercle ; toute droite possède en effet un unique "point à l'infini" selon lequel ses extrémités se rejoignent, ce qui cadre parfaitement, une fois de plus, avec l'idée traditionnelle du caractère cyclique de toute manifestation, qui implique un espace-temps clos. Cependant, il y a une différence essentielle entre cercles et droites : alors que deux cercles - ou un cercle et une droite - se rencontrent nécessairement en deux points ou pas du tout (sauf s'ils sont tangents, ce qui représente en réalité un cas limite), deux droites (d'un même plan) au contraire se rencontrent toujours en un et un seul point. Ce point est le centre de la croix formée par ces deux droites ; il représente le principe qui "rayonne" dans toutes les directions et produit ainsi la Forme absolue, l'espace, réceptacle de toutes les formes. Mais une fois que ce processus d'émanation est parvenu à son terme, que se passe-t-il ? Les deux branches de la croix, et tous les autres "rayons" issus du centre, ne peuvent que se refermer et converger en un point qui est l'analogue, symétriquement inverse, du point d'origine. Pour visualiser cela, il suffit de se projeter sur une sphère ; la structure géométrique de la sphère, en effet, est essentiellement identique à celle du plan complété par une droite ou un point à l'infini. Les droites sont alors les grands cercles de la sphère, c'est-à-dire ses sections par les plans passant par le centre, tandis que les cercles sont les sections par les autres plans. Les deux pôles extrêmes représentent les deux principes opposés de la manifestation. Deux droites issues du pôle supérieur - par exemple - forment alors une croix qui se referme au pôle inférieur ; on obtient alors deux circonférences sécantes, qui, projetées sur un plan depuis un point appartenant à l'axe des pôles, formeront une croix, mais qui, projetées depuis tout autre point, formeront un croissant (ou plutôt deux croissants reliés par les extrémités). En géométrie projective, les deux pôles supérieur et inférieur sont identifiés et forment un seul point, mais qui possède deux déterminations (en réalité, il en possède même une infinité). L'équateur représente la limite du plan, la "droite de l'infini", de sorte que les deux droites sécantes qui forment les branches de la croix se coupent bien en un seul point, et en même temps, elles forment chacune un chemin fermé dans le plan, de sorte que si l'on parcourt la totalité ordonnée des états ou degrés de manifestation échelonnés selon une direction donnée, on finit par revenir au point de départ, au principe. En réalité, sur la sphère, on a parcouru une demi-circonférence qui va du pôle supérieur au pôle inférieur, lesquels doivent être vu comme deux déterminations opposées d'un même point, de sorte qu'on est symboliquement revenu à l'origine. C'est qu'au moment où l'on atteint le cercle-limite de l'équateur, la "droite à l'infini", il s'est produit un "renversement" de polarité grâce auquel les états correspondant à la partie inférieure de la demi-circonférence parcourue ont été "transmués" dans les états correspondant à la partie supérieure de la demi-circonférence complémentaire. Cette "croix sphérique", qui est l'achèvement et la limite de la croix plane, est précisément ce qui engendre la vision du croissant lunaire, qui est la projection sur le plan de la rétine de deux circonférences méridiennes, une sombre et une éclairée, s'intersectant sur la surface de la lune. Ainsi, l'origine cosmique et naturelle du symbolisme du croissant coïncide absolument et parfaitement avec l'interprétation géométrique et métaphysique que nous venons d'en donner ; elles coïncident même à une profondeur indescriptible, car les phases de la lune, qui symbolisent traditionnellement les étapes successives de la manifestation, correspondent alors à la rotation, sur la surface de cette planète, d'une des deux circonférences autour de l'axe polaire, c'est-à-dire à la rotation d'une branche de la croix par rapport à l'autre ; cette branche parcourt ainsi l'ensemble des "rayons" qui représente, vue du centre, la totalité des possibilités de déploiement spatial principiellement contenues dans l'origine. Il y a donc ici une correspondance parfaite entre symbolisme cosmique et symbolisme géométrique, et entre les symbolismes de la croix et du croissant.

Un ami m'a récemment interrogé sur le rôle de Sarah, la femme d'Abraham, dans l'islam. N'ayant jamais fait de recherches approfondies sur la question, je n'ai pu que répondre des choses assez générales, mais qui s'insèrent naturellement dans le présent contexte. Sarah, en arabe Sarâ, apparaît évidemment surtout comme la mère du prophète Isaac (Ishâq, qu'il faut lire Is-hâq, avec h aspirée). Le chapitre sur Isaac dans le livre des Châtons des sagesses  d'ibn 'Arabî tourne autour de l'idée de"Haqq", vérité essentielle, principielle, qui est contenue dans le nom même de ce prophète : Is-hâq peut en effet se comprendre comme "Is Haqq", l'Être-vrai, la racine is en arabe désignant le principe, le fondement, ce qui est, comme l'esse latin. Le nom Sarâ, lui, peut être rapproché du mot sirr qui désigne le secret, dans le sens de secret initiatique et aussi de non-manifesté ; par ailleurs, cette racine renferme aussi l'idée de totalité (en arabe comme en sanscrit, d'ailleurs). Sarâ mettant au monde Ishâq, c'est donc le secret de la totalité non-manifestée qui produit l'Être vrai. Mais le chapitre sur Isaac contient aussi un rapprochement avec la figure de Jésus, et M. Gilis, dans son commentaire, souligne le fait que cette analogie entre Isaac et Jésus est partagée avec les théologiens chrétiens. Elle implique forcément une analogie entre Sarah et Marie, qui représente aussi le secret de l'Essence divine accouchant virginalement du Verbe. Mais s'il est permis de rapprocher Isaac de Jésus, il semble logique de rapprocher Ismaël, l'autre prophète issu d'Abraham, de Muhammad, le Sceau de la prophétie. Or si le chapitre sur Isaac, dans les Châtons, tourne autour de l'idée de Haqq, le chapitre sur Ismaël, lui, tourne autour du mystère de l'Identité suprême et de l'Unité de l'existence (Wahdat al-wujûd), ce qui fait penser à l'idée de Haqîqa comme corrélat d'al-Haqq ; la Haqîqa dans le soufisme désigne la réalité essentielle des choses, et, au degré suprême, la Réalité une et inconditionnée, tandis qu'al-Haqq, qui procède de la même racine, désigne leur réalité actuelle, et la puissance existentiatrice (qui comme telle est souvent mise en opposition avec al-khalq, la création). Il n'est pas possible de déterminer avec certitude si, dans l'islam, le fils qui devait être sacrifié par Abraham est Isaac ou Ismaël ; les sources sont imprécises sur ce point, ce qui indique que les deux versions du mythe sont également plausibles. La majorité des savants semble avoir penché pour Ismaël, et certaines sources archéologiques et historiographiques (comme la tradition de sacrifier le fils premier-né chez les Chaldéens) tendent à confirmer cette version, mais le livre des Châtons, qui procède d'une inspiration divine directe, affirme le contraire. Cette question n'est pas d'une importance capitale si l'on considère qu'Isaac et Ismaël sont en réalité - comme Abraham lui-même - deux aspects d'une même réalité, qui se manifeste tantôt comme Haqq ou Être vrai, tantôt comme Haqîqa ou Réalité transcendante. Il y a un point en tout cas sur lequel la tradition islamique est unanime, et en divergence avec la tradition biblique : lors de l'épisode du sacrifice, le fils - comme d'ailleurs la mère - était au courant des desseins du père et il les approuvait. C'est même lui qui incite son père à aller jusqu'au bout de son acte, alors qu'au début Abraham hésite. Le passage des chroniques de Tabârî dans lequel Ismaël demande à son père de lui voiler le visage, de crainte qu'il n'ait pas le courage de faire ce que Dieu lui a ordonné, est particulièrement émouvant. Dans cette version de l'histoire, le sacrifice du fils relève de la volonté du fils plus encore que de celle du père ; il y a un renversement de la perspective biblique qui n'est pas sans signification. Le fils immolé, c'est bien sûr en réalité Abraham, c'est-à-dire l'âme d'Abraham, car "le fils est le secret du père". Et le bélier qui est finalement effectivement sacrifié - dans un geste symbolique qui est reproduit chaque année par les musulmans dans leur principale fête religieuse - est encore une figure d'Abraham lui-même, c'est-à-dire un autre aspect du principe qu'il représente. M. Gilis établit un rapprochement entre Abraham, Isaac et le bélier et les trois personnes de la Trinité. Cela nous ramène à ce que nous disions au début sur le bélier qui représente l'Esprit : si Abraham et le bélier représentent respectivement la première et la troisième hypostase, Isaac peut parfaitement représenter la deuxième, c'est-à-dire le Verbe, le Logos. Mais si l'on considère que le fils sacrifié était Ismaël, alors Isaac, qui vient après, et qui peut être vu comme une récompense octroyée à Abraham pour son sacrifice, peut aussi bien représenter l'homme régénéré par l'immolation de son "moi" individuel, donc être mis en relation avec le "Christ ressuscité". Jésus est désigné dans le Coran comme "la Parole d'Allâh", et sur le plan initiatique, il est le détenteur de la science des lettres. Mais le symbolisme d'Ismaël est aussi en rapport avec celui de la Langue parfaite et universelle ; d'ailleurs le nom Ismaël vient d'une racine qui évoque entre autre choses l'écoute. De ce point de vue, il apparaît bien sûr comme un précurseur de Muhammad, porteur de la Révélation synthétique et totalisante, en langue arabe, qui est celle d'Ismaël. Or, si Jésus a pu dire "Je suis la Vérité" (al-Haqq), Muhammad aurait pu dire "Je suis la Réalité essentielle - al-Haqîqa" ; même s'il ne l'a pas dit de cette façon (Dieu en revanche a dit : "si tu n'avais pas été, Je n'aurais pas créé l'univers"), c'est ainsi qu'il apparaît aux yeux de l'ésotérisme islamique, selon lequel la Réalité muhammadienne est antérieure à toute réalité (on peut citer à l'appui de cette thèse nombre de traditions dont celle-ci : "j'étais Prophète alors qu'Adam était entre l'eau et l'argile", c'est-à-dire dans un état intermédiaire entre le manifesté et le non-manifesté). Enfin, c'est avec l'aide d'Ismaël qu'Abraham bâtit la Ka'ba, la maison sacrée, centre symbolique de l'univers manifesté, et la commémoration annuelle du sacrifice d'Abraham est en relation avec le pèlerinage à la Mecque, de sorte qu'on retrouve le lien entre le sacrifice et le sanctuaire. De quelle que façon qu'on l'envisage, la double figure d'Isaac et d'Ismaël reflète une dualité fondamentale d'aspects et de fonctions au sein d'une même réalité métaphysique, qui annonce la dualité et la complémentarité entre Jésus et Muhammad. Si Muhammad, pour l'islam, est venu achever l'oeuvre de Jésus et de tous les prophètes antérieurs, il ne faut pas oublier que c'est Jésus qui, à la fin des temps, doit revenir achever l'oeuvre de Muhammad et rétablir l'islam dans sa pureté originelle, en sa qualité de "Sceau de la sainteté universelle". De même, le croissant achève la croix, mais il n'est rien de plus lui-même que deux croix dont les branches sont unies, et dont l'une est l'image inverse de l'autre.
Certains musulmans considèrent que le terme "Paraclet", dans le Nouveau Testament, constitue une altération de "Périclitos", qui signifie "le Loué", et serait donc annonciateur de la venue du Prophète. Les chrétiens rejettent cette lecture, ce qui donne lieu à des disputes sans fin ; en réalité, les uns comme les autres se trompent, car on peut parfaitement concilier les deux leçons : lire au choix Paracletos ou Périclitos, si l'on considère d'une part que c'est bien à l'Esprit de sainteté que convient l'épithète de "loué", et de l'autre, que le Sceau de la prophétie s'identifie avec le Paraclet, dans son aspect supra-humain et transcendantal. Il faut rappeler à ce propos la qualification coranique du Prophète : il est une "Miséricorde (Rahma) pour les mondes". Or la Miséricorde dont il est question ici est indissociable de l'Essence divine ; elle est l'Essence divine considérée en tant que synthèse de tous les noms, c'est-à-dire en tant qu'elle enveloppe "maternellement" tous les êtres. Rahma est le terme arabe qui se rapproche le plus de l'Agapè évangélique, que l'on a traduit en latin par Amor, mais qui ne doit pas être confondu avec Eros. Or l'Agapè elle-même est un nom du Saint-Esprit, et de même, la Rahma coranique a quelque chose à voir avec le Rûh qui est l'esprit dans tous les sens du terme, et surtout en tant que principe de la vie. Les anciens auteurs chrétiens identifiaient souvent l'Esprit-Saint avec Marie, dont le symbolisme en islam (voir à ce sujet Marie en islam de M. Gilis) se rattache directement à la Rahma universelle. Or Sidnâ Muhammad est aussi l'époux de Marie dans l'Au-delà ; symboliquement, il s'agit donc de deux aspects, féminin et masculin, d'un même principe, ce qui cadre à la fois avec l'identification du Prophète à la Rahma coranique et au Paraclet. Mais alors, si le bélier est une figure de l'Esprit, et si l'on considère que c'est Ismaël le fils sacrifié, Ismaël, Muhammad et le bélier représentent une même réalité, et Isaac, qui apparaît comme le produit du sacrifice, préfigure Jésus ; dans ce cas, il faut considérer que Muhammad, qui s'identifie principiellement avec la Rahma et donc avec Marie, enfante Jésus, ce qui correspond d'ailleurs, au plan ésotérique, à l'ordre naturel des choses, car Muhammad précède et produit tous les Envoyés divins. Le sacrifice de Jésus sur la croix est alors une répétition du sacrifice abrahamique, mais avec interversion des rôles, puisque celui qui était né du sacrifice, comme une conséquence de celui-ci, devient lui-même le sacrifié. En termes néo-platoniciens, ce moment correspond à la conversion, et à la réalisation ascendante vue comme l'aboutissement ultime de la réalisation descendante. Mais si Muhammad précède Jésus dans l'ordre principiel, il faut nécessairement qu'il le suive dans l'ordre naturel, puisque le second représente une analogie inverse du premier. D'ailleurs celui qui a inauguré le mouvement de la Révélation universelle peut seul le clôturer. Mais d'un autre point de vue, la Deuxième personne de la Trinité a préséance sur la Troisième, et la théologie chrétienne elle-même affirme, dans cette optique, que Marie est "fille de son Fils", donc que c'est le Fils qui, en quelque sorte, a produit le réceptacle de sa manifestation ; vu sous cet angle, Jésus doit donc également être considéré comme le producteur de Muhammad, ce qui peut expliquer que c'est lui qui doive revenir à la fin des temps comme "Sceau de la sainteté universelle" (mais sous la juridiction formelle de l'islam). Tout cela peut s'interpréter au moyen des concepts néo-platoniciens de Manence, Procession et Conversion (Manè, Proodos, Epistrophè). Ces trois "moments" sont à la fois unis et hiérarchisés, mais selon un ordre circulaire ; chacun d'eux est compris dans les deux autres, et a préséance sur eux sous un certain rapport. Chaque nom et chaque envoyé divins participe des trois à quelque degré, mais on pourrait dire que l'aspect manentiel domine dans le Paraclet et dans Muhammad, - on le voit notamment au fait que le concept de Manence, chez Proclus, est intimement lié à celui de l'Éternité comme dénomination du Principe suprême, or chez ibn 'Arabî, l'Éternité qui est le "Temps des temps" est également un aspect du Prophète (symbolisme de la Balance, "al-Mîzân", qui renvoie d'ailleurs à l'idée d'équilibre et donc de Manence) - l'aspect conversif chez Jésus et chez les saints en général, l'aspect processif chez la plupart des prophètes (la prophétie est indissociable de l'idée de révélation, donc de manifestation, et la sainteté est indissociable de celle de réalisation, qui est assez proche de l'idée de conversion). Il y a un double aspect dans la Manence, qui peut être vue comme la synthèse finale de la procession et de la conversion, mais qui peut aussi précéder celles-ci d'une manière radicale et absolue. Et il y a aussi un double aspect dans la conversion, qui peut être vue comme le moment ultime de la procession, mais aussi comme sa condition, car seul ce qui est susceptible de se convertir - c'est-à-dire de faire retour au Principe - peut procéder.

Signalons pour finir que le point au centre de la demi-circonférence, l'étoile au creux du croissant, qui représente le Principe dans sa Manence, prend souvent dans l'art islamique la forme d'une étoile à cinq branches, d'un pentagone étoilé, qui est un symbole traditionnel de l'Homme transcendant. Celui-ci est encore une dénomination du Prophète. Cela signifie que l'Homme transcendant, dans son aspect suprême, est immanent à l'Essence divine. Mais la géométrie projective permet encore de rendre plus clair le sens de cette analogie (entre le point et le pentagramme), car la propriété géométrique essentielle et fondamentale de tout pentagone, qui explique (du moins en partie) son importance symbolique, est qu'il est toujours inscrit et circonscrit à une certaine conique et détermine univoquement ces deux coniques ; il est le seul polygone à posséder cette propriété. Or une conique, qui est l'équivalent projectif d'un cercle, est un symbole de la totalité manifestée. Le fait que le pentagone détermine univoquement sa conique circonscrite s'interprète donc comme : l'Homme transcendant détermine univoquement la totalité manifestée dont il est le centre. On remarquera à ce propos que le nombre cinq est le symbole traditionnel de l'Esprit, qu'il revient aussi de manière constante dans l'islam, et qu'il correspond à la lettre Hâ, racine du pronom personnel Hû, "Lui", dont l'exégèse symbolique en tant que nom divin mène directement à la doctrine de l'Ipséité, qui se rattache à la "Troisième personne de la Trinité". On voit donc une fois de plus à quel point tous ces concepts et doctrines forment un ensemble cohérent et uni.

samedi 23 août 2014

De l'unification des puissances et des organes cognitifs




توحد القوى والمدارك

Al Kâchâni


Présentation

Le présent travail est un essai de traduction d'un chapitre de l'ouvrage du cheikh Abd ar-Razzâq al Kâchâni intitulé « latâ'if al i'lâm fî ichârâti ahli-l ilhâm », que l'on traduit mot à mot par « les subtilités de l'enseignement dans les allusions des gens de l'inspiration (divine) ». Comme on le sait, al Kâchâni est un des disciples les plus illustres d'ibn 'Arabi, et l'ouvrage en question est un dictionnaire des principaux termes du lexique soufi (c'est-à-dire, en pratique, essentiellement akbarien), conçu à l'intention de personnes possédant un certain niveau de science et d'éducation, mais néophytes en matière d'ésotérisme. La concision et la clarté du style, ainsi bien sûr que le classement alphabétique adopté – et dont le principe est d'ailleurs minutieusement expliqué dans l'introduction, ce qui montre que ce type de classement constituait une relative nouveauté à l'époque – sont la marque d'une volonté pédagogique de la part de l'auteur. Cependant, la profondeur de certaines notices, la volonté de ne laisser dans l'ombre aucune des implications métaphysiques importantes des notions traitées, montrent bien que Kâchâni entend s'adresser non pas au vulgaire, mais à des lecteurs déjà versés dans les sciences spéculatives. Dans cette perspective, il est intéressant de noter qu'à quelques reprises, Kâchâni cite ibn Sina (Avicenne), le métaphysicien « exotérique » par excellence, ce que son maître ibn 'Arabi, lui, ne fait jamais. C'est une indication sur le type de public visé. Tout ceci fait du latâ'if al i'lâm une bonne introduction à l'oeuvre et à la doctrine d'ibn 'Arabi, et un ouvrage qui pose de précieux jalons pour s'orienter parmi les concepts nombreux et variés de l'ésotérisme islamique.
L'extrait présenté ici est la traduction intégrale de la notice consacrée à l'expression « tawahhud al quwâ wa-l madârik », « l'unification des puissances et des organes cognitifs ». Elle dénote le dépassement (et donc l'abolition) de la différentiation entre les fonctionnalités des différents organes moteurs et sensitifs, ainsi que des puissances intérieures qui leur correspondent, chez celui qui a atteint le plus haut degré de la Réalisation spirituelle. Pour cet être qui a pleinement réalisé l'Unité divine, la spécialisation des divers organes et des facultés correspondantes, vue, ouïe, préhension, etc. n'existe plus, de sorte que ces puissances multiples n'en forment plus qu'une, qui est indistinctement puissance visuelle, auditive, etc. De plus, cette faculté unique n'est plus localisée en un point du corps, mais est tout entière dans la moindre parcelle de celui-ci, ou plutôt, de l'univers entier ; et son champ d'application, bien entendu, ne se limite plus à certains objets, mais s'étend indistinctement à tout ce qui peut être dit, vu, entendu ou fait dans la totalité de l'univers manifesté. Autrement dit, celui qui réalise pleinement l'Unité n'est plus conditionné, dans ses actes ni dans sa connaissance, par le temps, le lieu, ni par aucun des accidents du corps, mais il voit, entend, connaît et produit toute chose par une puissance unique intégralement présente en toute chose. Il s'agit là d'un état très mystérieux, incompréhensible à la raison raisonneuse, dont la nature ne peut être comprise que des rares adeptes qui en ont fait l'expérience. Néanmoins, Kâchâni indique, par la considération de cette faculté intérieure que l'on désigne par les termes de « vision du coeur » ou d' « intuition intellectuelle », comment celui qui n'est pas encore parvenu à ce stade peut s'en faire une idée approximative.
Ce passage vaut non seulement par son objet propre, qui constitue un aspect important de la Réalisation spirituelle selon la perspective soufie, mais aussi parce qu'il constitue une bonne illustration du génie littéraire et métaphysique de Kâchâni.
C'est donc avec joie que j'ai l'honneur de présenter au public francophone la première traduction de cette merveille de l'un des plus grands génies spirituels de l'islam et du tassawwuf particulier.

Essai de traduction

L'unification des puissances et des organes cognitifs

Ils entendent par là l'abolition de la différentiation entre les puissances et les instruments de l'âme, de sorte que chacun de ses organes se mette à oeuvrer l'oeuvre de son compagnon, sans restriction à un attribut ou à un effet donné, en raison de l'abolition de la différentiation et de l'altérité entre les organes. De sorte que sa langue devienne une oreille, un oeil et une main, et de même son oreille devienne une langue, un oeil et une main, son oeil, une langue, une oreille et une main, sa main, une langue, une oreille et un oeil. Chacun accomplit l'oeuvre même de son compagnon, et le tout devient une langue qui discourt, un oeil qui regarde, une oreille qui entend et une main qui frappe.
A cela, Sîdî 'Omar (ibn Fârid) a fait allusion par sa parole:

« Mon tout est donc langue, regard, instrument d'audition, main, pour discourir, percevoir, entendre et saisir ».

Et cela n'est pas réservé aux organes, mais s'étend nécessairement à toutes les particules parmi les particules du corps, de sorte que chacune, si elle était isolée de ses compagnes, jusqu'à devenir une substance singulière, oeuvrerait l'oeuvre de l'ensemble des organes. Chaque particule d'entre ces particules deviendrait alors telle qu'elle entendrait l'ensemble des choses entendues, verrait l'ensemble des choses vues, discourerait par l'ensemble des mots et des paroles, ferait l'ensemble des choses faites, frapperait de l'ensemble des forces vives.
C'est ce que Sîdî 'Omar a laissé entendre par sa parole:

« Chaque particule de moi, dans son isolement, réunit la totalité des actions des membres ».

Cette station est la station de celui qui s'est réalisé en tant que lieu de manifestation de la Présence appelée « Présence de l'Unité de la Somme (ou du Rassemblement) » (hadratu ahadiyyatu-l jam', حضرة أحدية الجمع). De même en effet que l'Essence, dans le premier degré de ses spécifications, appelé « Présence de l'Unité de la Somme », est une Essence Une englobant ses oeuvres en elle-même, de sorte qu'elle est tout entière une langue qui narre d'un seul mot et un oeil qui embrasse tout d'un seul regard, et que de même Elle est tout entière une oreille unique pour son appel et son récit unitaires au moyen d'une lettre unique, et une main détenant la puissance d'exécuter ses actes et ses opérations ; de même, celui qui se réalise en tant que lieu de manifestation de cette spécification première, se colore extérieurement du caractère intérieur en lequel consiste l'Unité de la Somme, de sorte que toute puissance d'entre ses puissances, tout organe parmi ses organes, toute particule d'entre les particules de sa forme se mette à oeuvrer l'oeuvre de son compagnon, sans se restreindre à un attribut ou à un effet spécifique, cela en raison de la levée de la différentiation et de l'altérité au sein de la totalité. Il devient donc tout entier une langue, sa langue devient tout entière un oeil, son oeil une oreille, et son oreille devient lui tout entier, et il devient tout entier une main, et sa main devient lui tout entier, et dès lors il parle par ce par quoi il entend, et inversement, et il voit par ce par quoi il parle et il entend, et inversement, et il frappe par ce par quoi il parle et il voit, et vice-versa ; et dès lors, il parle par toutes ses puissances et ses organes et ses particules par la totalité des paroles, et il voit par toutes ses puissances et ses particules tout ce qui s'offre à la vision, et entend par l'ensemble de ses instruments et de ses particules la totalité de ce qui peut s'entendre, et il tient en sa puissance par chaque particule d'entre ses particules tout ce qui peut être mesuré par une puissance, et il accomplit par leur totalité la totalité des actions ; ou plutôt, par toute particule parmi les particules des êtres, il accomplit et il perçoit sans restriction à une partie des actions ou des passions, étant donnée sa réalisation en tant que lieu de manifestation de l'Unité de la Somme, qui constitue ce qu'il y a de plus intérieur à tout intérieur ou intériorité. Aussi, celui qui réalise cette station est celui qui peut dire : « Moi, pour le Tout, je suis réellement Tout ».

Il connaît cela celui qui comprend ce que nous disons ; et ce stade de la connaissance, bien qu'il relève de ce que nulle voie ne permet de goûter tant que le serviteur revêt les formes des êtres, et que son coeur ne s'affranchit pas du caractère limitatif des délimitations, et que sa justice ne se manifeste pas par l'enlèvement des caractères déviants, il se peut toutefois, pour celui qui possède vers la possibilité de cela une disposition étincelante, qu'il trouve vers lui un chemin clair. Il faut pour cela qu'il tourne le regard vers sa puissance intérieure, nommée « la vision du coeur », la « puissance intellective » ou la « subtilité spirituelle », ou autrement encore. Il s'apercevra alors que tout en étant une puissance une, elle est capable d'accomplir la totalité de ce qu'accomplissent les autres instruments cognitifs. Par elle en effet, l'homme (insân) s'entretient en son for intérieur, ensuite, par elle il entend la narration de son âme, par elle il voit en lui-même, par elle il peut se retenir, s'il le veut, de tout ce qu'il veut, et par elle encore il peut envoyer son âme vers ce qu'il veut lorsqu'il le veut. De plus, lorsque, quittant la dispersion extérieure, cette puissance se rassemble vers le rassemblement intérieur – fût-ce dans le sommeil – elle croît alors en intensité, de sorte qu'il peut acquérir la vision sensible de ce qu'elle produit, et l'audition de ce qu'elle énonce, et s'entretenir avec celui qui est présent au moyen des paroles qu'il veut, et produire l'agencement qu'il veut parmi les formes et les figures. Et si tel est l'état de celui dont la puissance intérieure s'est accrue par son rassemblement vers l'intérieur dans le sommeil, que te semble de celui qui s'est réalisé par l'extinction de l'oeil dans l'oeil (c'est-à-dire de l'essence dans l'Essence) ? A cette représentation évoquée par la comparaison de l'union des puissances et des organes cognitifs, dans leurs actions et leurs passions, avec le cas de cette puissance intellective appelée « l'essence (l'oeil) de la vision », en tant que par son essence même, et non au moyen d'instruments, elle accomplit les actes de tous les membres, il est fait allusion dans sa parole :

« Il n'y a pas en moi d'organe qui se distingue d'un autre par un attribut déterminé, comme l'oeil par la vision » (Ibn Fârid).

Il a voulu dire par là que l'état de ses organes, en tant que chacun d'entre eux oeuvre l'oeuvre du tout, est comme celui de la puissance de vision, laquelle, dès lors qu'elle est exempte des restrictions liées aux caractères du corps et de la corporéité, ses actes et ses perceptions ne se limitent pas à certaines oeuvres au détriment du reste. En conséquence (dit le poète) de ce que cette exemption s'est étendue à ma totalité, au point qu'elle court dans l'ensemble de mes particules, ma totalité est donc revenue à sa simplicité originelle et à sa forme intégrale, et elle est devenue qualifiée par le néant de la délimitation.
Et il sait que tout ceci est réservé exclusivement à l'ami de cette station la plus complète, celle qui constitue le lieu de manifestation de l'Unité de la Somme, car tout autre que lui parmi les personnes des êtres, même si la Présence de l'Unité de la Somme constitue son intérieur également, puisqu'elle est l'intérieur de la totalité des mondes, malgré cela, ce que nous avons évoqué en fait de communication à toute particule parmi ses particules de la spécificité de l'ensemble, n'appartient qu'à l'âme qui, après qu'elle fut descendue de la Présence de rassemblement et de divinité vers les degrés de la séparation et de la création jusqu'à leur limite extrême, qui consiste dans les conditions de la présente manifestation mondaine, est retournée dans son cours, s'élevant en pensée par delà tous les degrés de la séparation et par delà leur vision, jusqu'à la Présence de l'Unité de la Somme. Et cela, en rejetant sa passion (hawâ), dictée par les nécessités de l'adaptation à sa présente manifestation mondaine, et à sa condition limitative d'existant particulier ; car en rejetant ainsi sa passion et son ego (sa trace, athr), puis son essence propre et sa dualité essentielle, au point que l'être (insân), en la totalité de son secret, de son esprit, de son âme et de l'ensemble de ses organes et de ses puissances, se réalise par son cheminement vers la Présence de l'Unité de la Somme, en observant les devoirs des différentes stations, en se tournant intégralement vers l'Unité, et en persévérant sur ces conséquents et ces antécédents par la parole, le geste et l'état, de sorte que son regard ne quitte pas ce à quoi il se doit d'aspirer et ne dévie pas vers ce à quoi il lui est défendu d'aspirer, à savoir tout ce qui est autre que la Présence du Rassemblement (de la Somme), dont le caractère d'immanence est tel que nous l'avons décrit, à ce moment-là donc, il manifeste l'immanence, en chaque composant monadique de sa forme, des spécificités de l'ensemble.
Mais tant que l'âme reste vêtue du caractère de son humanité, qui exige qu'elle s'occupe de l'Autre et de l'Altérité, et se mêle aux attachements des parties et de l'existence particulière, il ne peut manifester le caractère d'immanence évoqué, grâce auquel toute particule se manifeste avec les spécificités de l'ensemble. Et l'allusion au fait que l'obtention de cette qualité de rassemblement est conditionnée par le rejet (de la passion) mentionné, se trouve dans ce que nous avons (précédemment) cité de la qasîdah appelée « l'ordre du cheminement »:

« Elle, l'âme, si elle jette sa passion, ses puissances en sont redoublées, et elle communique son acte à toute particule » (ibn Fârid).

Ce qui veut dire : si l'âme jette sa passion, ses puissances en sont doublées au point d'atteindre l'efficacité que nous avons décrite. Mais si elle ne jette pas sa passion, elle demeure telle que l'exigent sa condition corporelle, son caractère partiel et son voilement (aux réalités supérieures) en raison de son humanité. Comprend donc cela, et tu connaîtras les allusions des gens autorisés, contenues dans les paroles que l'on rapporte d'eux, et dont le sens ne se révèle qu'en méditant ce que avons mentionné, à l'exemple de la parole de celui qui a dit : « Moi, c'est Toi, sans aucun doute; dès lors, Gloire à Toi ! Gloire à Moi ! (ou : Ta Gloire est Ma Gloire) », ou encore cette autre : « J'ai réalisé que J'étais en réalité Un ». Ou plutôt, tu connaîtras le secret de Sa Parole – exalté soit-Il : « Certes, ceux qui te prêtent allégeance, ne prêtent allégeance qu'à Allah » (Al Fath, 10). Tu deviendras ainsi du nombre de ceux qui contemplent le fait que les choses sont comme Il l'a voulu.

M. M.

lundi 11 août 2014

De la réalité muhammadienne

Parmi toutes les questions islamiques sur lesquelles règne la plus grande ignorance aujourd'hui, tant parmi les musulmans que parmi les non-musulmans plus ou moins bien intentionnés et disposés à l'égard de l'islam, il y a celle de la nature même du Prophète, telle que l'islam l'enseigne, en tout cas selon la perspective transcendantale qui était celle des premiers musulmans, que nous devrions tous respecter beaucoup plus que nous ne le faisons. Comme nous avons eu l'occasion déjà de le signaler, l'ignorance sur ce point est telle que tout se passe comme si chacun pouvait y aller de sa propre théorie sur le Prophète sans que cela ne prête le moins du monde à conséquence. Mieux – ou plutôt pire – il y a un véritable consensus d'ignorance et de diffamation, sur fond de complicité objective entre la haute racaille intégriste-salafiste qui, avec son idéologie malfaisante et son argent maudit, a opéré une véritable OPA sur l'islam, et les pseudo-intellectuels laïco-matérialistes à la solde du système de domination mondiale, pour réduire le divin Prophète à la dimension d'un homme ordinaire, soumis aux passions et aux nécessités contingentes qui gouvernent l'homme ordinaire ; toute la dimension transcendante de celui qui représente l'Intercesseur par excellence entre la création indigente et obscure et la Divinité sublime, est abolie. Pourtant, la structure même de la chahâda, la sacro-sainte profession de foi qui constitue le premier pilier et le premier rite, parfaitement opératif, de l'islam, atteste de ce caractère exceptionnel, transcendant et sacré de l'être prophétique. Les deux parties de la formule, en correspondance analogique parfaite, se complètent comme les deux moitiés, supérieure et inférieure, de l'oeuf cosmique originel. Le nom suprême Allâh, qui cristallise en lui-même tout l'intelligible et tout le divin, se reflète pour l'éternité dans le nom loué du serviteur parfait qui concentre et synthétise tout l'humain, tout le créaturiel dans ce qu'il contient lui-même d'éternel et d'indestructible, marqué du sceau de l'immanence divine. Sans vouloir trop anticiper sur la suite, les deux faits saillants que nous voudrions faire ressortir tout d'abord sont, d'une part, l'enseignement du verset coranique bien connu qui qualifie l'envoyé Muhammad comme « une miséricorde (Rahma) pour les mondes », l'idée de miséricorde renvoyant précisément à la notion métaphysique d'un lien matriciel universel, quasi organique, entre Dieu et l'univers, entre le principe et sa manifestation. De l'autre, une simple correspondance lexico-numérique, en vertu de laquelle le nom Muhammad totalise le même nombre que le mot « qalb » qui signifie le coeur. Car c'est bien Muhammad qui constitue le coeur de la manifestation universelle, siège de la Miséricorde agissante dont le mystère enveloppe, maintient et ramène le tout à son principe unique. C'est lui – Muhammad – qui, envisagé non plus simplement comme être contingent, mais comme principe intemporel, est la substance même de la réalité, la source resplendissante du savoir sous toutes ses formes, le principe civilisateur et le législateur universel. Auteur véritable, selon l'enseignement incomparable du cheikh ibn 'Arabî, de toutes les « lois religieuses » antérieures, c'est-à-dire en fait de toutes les doctrines plus ou moins partielles qui sont comme les reflets, variables au gré des circonstances, de l'unique Doctrine incommunicable et intemporelle qui trouve son expression la plus pure dans l'idée islamique de Tawhîd, qui désigne, au propre, à la fois l'affirmation et, plus profondément, la réalisation de l'Unité. Toutes les civilisations, toutes les grandes cultures spirituelles qui ont fait la gloire et le juste orgueil de l'humanité ont pour auteur véritable et unique l'intellect muhammadien lumineux, qui a finalement pris la forme d'un homme de chair et de sang pour parachever son oeuvre dans la révélation d'une législation ultime destinée à exprimer dans un langage clair et synthétique, et mener à son accomplissement le plus parfait, la vérité cachée de toutes ces doctrines partielles et de toutes ces cultures. N'en déplaise tant aux imposteurs pseudo-musulmans qui nous rabâchent leurs discours parfaitement hypocrites sur « le meilleur des hommes », qu'à tous ceux qui voudraient reléguer l'islam au rang de tradition subalterne, il s'agit là d'un enseignement éminemment traditionnel sur lequel on ne saurait trop insister ; aussi nous rappellerons encore sur la personne de Muhammad (et non Mahomet, comme on écrivait autrefois, ce qui constitue l'une des pires infamies qui soient) quelques vérités très simples. Non, de toute évidence, Muhammad n'est pas « un homme comme un autre », comme il le dit lui-même dans plus d'un hadith à la signification très mystérieuse, comme celui-ci : « qui m'a vu, a vu Dieu », ou encore : « J'étais prophète alors qu'Adam était entre l'eau et l'argile », ce qui signifie qu'il n'appartient pas, dans son essence, à l'humanité adamique, mais transcende cette dernière, ainsi que le montrent les paroles suivantes du cheikh 'Abd-el-Karîm al-Jîlî :

« Sache que c'est Muhammad qui constitue la relation entre le serviteur et le Seigneur. De sorte qu'Adam et tous ceux qui viennent après lui n'ont droit à revêtir les Attributs divins que parce qu'ils sont à l'image de Muhammad ; il te faut donc, cher frère, connaître tout d'abord la validité du lien entre Allâh et toi. Ensuite, il faut que tu saches ce qui revient à Allâh comme attributs de perfection, et ce qui revient dans sa sainteté au Très-grand, Exalté dans Sa transcendance ; enfin, il faut que tu connaisse la façon dont Muhammad revêt ces noms et ces attributs divins, afin de cheminer vers eux selon sa voie excellente et son chemin parfaitement droit.
La Vérité principielle – al-Haqq – a dit : « il y a certes pour vous dans l'Envoyé d'Allâh le meilleur exemple ».
Et il t'est nécessaire, cher frère qui chemine sur sa voie, de te connaître toi-même (ou de connaître ton âme). Ce sont là quatre connaissances qu'il te faut maîtriser. Et pour cela, j'ai découpé ce livre en quatre parties :
la première : de la connaissance que Muhammad est le lien entre Allâh et Ses serviteurs
la deuxième : de la connaissance des noms et des attributs d'Allâh
la troisième : de la connaissance du revêtement par Muhammad des attributs divins
la quatrième : de la connaissance de ce qu'il y a dans l'homme comme ordres de perfection possible, et du moyen de parvenir jusqu'à cela. (...)

Allâh a dit : « et Nous ne t'avons envoyé que comme une Miséricorde pour les mondes » (Cor. 21, 107)

Sache que cette miséricorde est celle qui est commune à tous les êtres, et à elle il est fait allusion par Sa parole « et Ma Miséricorde embrasse toute chose » (Cor. 7, 156).

C'est-à-dire que Muhammad est celui qui embrasse tout ce qui tombe sous le nom de chose, tant dans l'ordre divin que dans l'ordre créaturiel. Et c'est pourquoi Il l'a mentionné à la fin du verset et a dit : « et Je l'écrirai certes pour ceux qui sont pieux et qui donnent l'aumône (zakât), et pour ceux qui croient en Nos signes », « ceux qui suivent le Messager, le prophète illettré » (Cor. 7, 157)

comme un avertissement pour ceux qui suivent Muhammad dans sa station réservée à la différence de tant de gens, qu'ils seront bientôt rattachés à sa station, comme l'annonce Sa parole : « Je l'écrirai certes pour ceux qui sont pieux.. », c'est-à-dire qu'ils deviendront à leur tour Miséricorde. (...)

Sache que la Miséricorde est de deux sortes : particulière et générale.
Quant à la Miséricorde particulière, c'est celle par laquelle Ses serviteurs connaissent Allâh dans des moments déterminés.
Et quant à la Miséricorde générale, c'est la Réalité de Muhammad, et par elle Allâh a fait miséricorde aux réalités de toutes les choses, de sorte que toute chose s'est manifestée dans le degré qu'elle occupe dans l'Être ; et par elle les réceptacles des êtres furent disposés à recevoir l'émanation [divine] et le bien.
C'est pour cela que la première chose qu'Allâh a créée fut l'esprit de Muhammad, comme rapporté dans le hadith de Jâbir (qu'Allâh soit satisfait de lui), afin qu'Il fasse par lui miséricorde aux êtres manifestés et qu'Il les crée suivant un modèle, et les fasse sortir de son être.
Ensuite, Il créa à partir de lui le Trône, le Marchepied, et toutes les créatures d'en haut comme d'en bas, afin qu'il leur soit fait Miséricorde grâce à lui, car elles furent créées à partir de son être très-noble, selon le modèle de son exemple immense.
C'est pour cela que la Miséricorde d'Allâh a précédé Sa Colère, car le monde tout entier est créé selon le modèle du Bien-aimé, et le Bien-aimé est celui à qui il est fait miséricorde. De sorte que le statut ontologique de la Miséricorde est la nécessité, tandis que celui de la Colère est l'accident. Car la Miséricorde est parmi les attributs de l'Essence, tandis que la Colère est parmi les attributs de la Justice, et la Justice est un acte (et il existe une grande différence entre les attributs de l'Essence et ceux de l'Acte).
Et c'est en raison de cette signification qu'Allâh Se nomma le Tout-miséricordieux et le Très-miséricordieux#, mais jamais le Tout- ni le Très-colérique ; et il est permis de dire : Allâh ne cesse de faire miséricorde, mais point de dire : Allâh ne cesse d'être en colère, ni qu'Il est Colérique dans l'absolu. Et le secret de tout ceci est que la Miséricorde a précédé la Colère car l'existence est pour le Bien-aimé comme un miroir pour la forme, ou comme l'attribut pour l'Essence, ou comme la partie pour le Tout, de sorte que la Miséricorde a englobé la totalité des êtres grâce à lui – qu'Allâh répande sur lui Sa Grâce et Sa Paix.

Les êtres sont remplis de toi, ô le meilleur d'entre eux
Comme les rameaux rayonnent de leur tronc commun
Tu es le Bien-aimé et de toute chose le modèle
Et tout ce qui relève du Bien-aimé est bien aimé (poésie).

Sache qu'Allâh – exalté soit-Il – lorsqu'Il voulut Se manifester à partir de Son statut de « trésor caché » et aima à créer ce monde des êtres en vue de Sa connaissance, comme il est rapporté dans le hadith « saint » : « J'étais un trésor caché, J'ai aimé à être connu, alors Je fis la création », et alors que les êtres étaient dans ce Resplendissement éternel présents dans Sa Science sous forme d'essences fixes, Il sut que leurs réceptacles n'étaient pas en mesure de connaître à cause de l'absence de lien entre le temporel et l'éternel. Mais la Dilection exigeait qu'Il Se manifestât à eux de sorte qu'ils Le connussent ; alors, Il créa de cette Dilection un Bien-aimé [le Prophète, manifestation directe de l'Amour divin ! NdT] qu'Il favorisa des Resplendissements de Son Essence, puis Il créa le monde à partir de ce Bien-aimé afin qu'il y ait un lien entre Lui et Sa création, de sorte qu'ils Le connaissent par ce lien. De sorte que le monde est le lieu de manifestation des Resplendissements des Attributs, et le Bien-aimé le lieu de manifestation des Resplendissements de l'Essence.
Et de même que les Attributs jaillissent de l'Essence, de même le monde jaillit du Bien-aimé, qui est donc le moyen terme entre Allâh et le monde. Et la preuve de ce que nous avançons se trouve dans sa parole (sur lui la Grâce et la Paix) : « Je procède d'Allâh et les croyants procèdent de moi ».s
Et nous avons une autre preuve en sa parole à Jâbir : « Allâh créa Son Esprit, ensuite Il créa le Trône et le Marchepied, et l'ensemble des êtres supérieurs et inférieurs à partir de lui ». Il a ainsi hiérarchisé la création de ces choses à partir de lui dans ce hadith selon un ordre clair, qui ne laisse de difficulté quant au fait qu'elles émanent de lui et qu'il est leur principe. Et ce que nous disons est encore prouvé par sa parole : « J'étais prophète alors qu'Adam était entre l'eau et l'argile ».
Car l'on déduit de cela qu'il était intermédiaire entre Allâh et Adam, jusqu'au moment où la manifestation d'Adam devint possible et sa création complète. Car la Prophétie muhammadienne ne se manifeste que par la puissance législatrice, et constitue une désignation de la médiation entre Allâh et le serviteur-adorateur. De sorte que la restriction du hadith à la mention d'Adam est une preuve claire que l'Envoyé d'Allâh était un moyen terme entre Allâh et Adam, jusqu'à ce qu'Adam fût envoyé comme prophète grâce à la médiation muhammadienne. Et si telle est la situation d'Adam, qu'en est-il de sa descendance ! Car ceci relevait de l'origine, et dès lors, par lui Allâh prit le pacte des prophètes afin qu'ils croient en Lui et Le fassent triompher. De sorte qu'Il a dit : « Et lorsque Allâh prit le pacte des prophètes : chaque fois que Je vous apporterai un livre et de la sagesse et que viendra ensuite un envoyé qui confirmera ce qui était auprès de vous, vous croirez en lui et le ferez triompher, Il dit : acceptez-vous et prenez-vous Mon pacte à cette condition ? Ils dirent : nous acceptons. - Soyez-en donc témoins, dit Allâh. Et Je suis avec vous parmi les témoins » (Cor. 3, 81). Et le caractère grammaticalement indéfini de l'« envoyé » ici a pour but de le magnifier d'après tous les interprètes, non d'indiquer que son être est inconnu en raison de Sa parole aux prophètes : « vous croirez en lui », qui prouve qu'ils n'ont pas connu les perfections muhammadiennes par la voie du Dévoilement jusqu'à ce qu'ils fussent en mesure de le contempler ; et la raison de cela est qu'il n'est pas pour les rameaux (c'est-à-dire pour les dérivés, NdT) de voie qui leur permette d'embrasser la racine (le Principe). De sorte qu'Allâh a pris d'eux l'engagement de croire en ses perfections d'une foi qui embrasse l'invisible (afin que ceci soit pour eux un chemin vers la délivrance essentielle de sorte qu'ils atteignent par cela aux plus haut degré de perfection et qu'ils se rattachent à lui (Muhammad), cela en raison de Sa connaissance du fait qu'ils ne pouvaient atteindre cela que par le biais de Muhammad).
Et le secret de cette affaire est qu'il (Muhammad) est le lieu de manifestation (par excellence) de l'Essence ; et quant aux (autres) prophètes, ils sont les lieux de manifestation des noms et des attributs, et le reste du monde, supérieur comme inférieur, est le lieu de manifestation des noms des actes, excepté les saints de la communauté de Muhammad qui sont comme les prophètes, des lieux de manifestation des noms et des attributs, en raison de sa parole « les savants de ma communauté sont comme les prophètes de Banî Isrâ'il (les Enfants d'Israël).

Et dès lors que tu sais qu'il est un intermédiaire entre Allâh et Ses prophètes, ta connaissance du fait que son être est intermédiaire entre Allâh et les anges procède de la voie la plus ancienne en raison de ce vers quoi s'est porté le consensus des sages, à savoir que l'élite des fils d'Adam est meilleure que celle des anges. Et dès lors qu'il est établi qu'il est un moyen terme entre Allâh et l'élite des hommes et des anges, il découle de la voie première que son être est bel et bien un moyen terme entre Allâh et le commun des hommes et des anges ; et le reste des existants se rattache à ces deux genres.
De sorte qu'il est connu d'après ce que nous avons dit que si Muhammad n'avait pas existé, rien parmi les existants n'aurait connu son Seigneur, ou plutôt, le monde n'aurait même pas existé, car Allâh n'a fait le monde que pour Sa connaissance. Donc, s'Il avait su que leurs « réceptacles » eussent été vides de science en raison de l'absence de lien, Il ne les aurait pas existentié, ou alors, Il eût tout d'abord existentié le lien, ensuite Il les eût produit à partir de ce lien, afin qu'ils Le connaissent par lui. Et si le lien n'avait pas été, ils n'eussent pas été non plus. À cela fait allusion le hadith « saint » qui contient Sa parole au Prophète :

« Si tu n'avais pas été, Je n'aurais pas créé les sphères ».

Et dès lors qu'il est la cause de l'existence du monde, et la raison de la Miséricorde envers les créatures, et le moyen terme entre Allâh et elles, à lui revient la station de la Médiation dans l'au-delà car la création s'élève par son intermédiaire jusqu'à la connaissance d'Allâh – exalté soit-Il – et par son intermédiaire les êtres sont, car ils sont créés à partir de lui, et par son intermédiaire ils accèdent à toute sorte de bien, extérieur comme intérieur. De sorte qu'il est le détenteur de la Médiation. Et nous avons parlé de la signification de son statut d'intermédiaire entre Allâh et la création, et nous l'avons rendue parfaitement claire dans notre livre intitulé « La caverne aux sept dormants – sur le commentaire de la formule Au nom d'Allâh le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux ».
Mais ce que nous avons emprunté ici à ce livre suffit sur cette question. Et Allâh dit la Vérité et vers Lui est le retour et la fin. »

L'on pourrait certes citer bien d'autres passages du même genre venant par exemple d'ibn 'Arabî et des plus grands maîtres de l'ésotérisme islamique. Ces passages prouvent à l'évidence que selon ce dernier – l'ésotérisme islamique – Muhammad est beaucoup plus qu'un homme ordinaire, puisque son essence est la Miséricorde divine elle-même, c'est-à-dire l'Amour déifiant de Dieu pour Ses créatures. Que Muhammad lui-même soit cet Amour qui constitue le Lien universel entre Allâh et toutes les choses créées est certes un Mystère, impénétrables pour la raison, mais que tout croyant se doit d'accepter en vertu justement du verset coranique bien connu : « Ceux qui croient au Mystère et accomplissent la çalât [prière rituelle] et dépensent de ce que Nous leur avons attribué » (Cor. 2, 3).
Cela prouve également que l'islam n'est pas, comme le prétend une légende trop répandue, une « religion sans Mystère », ce qui d'ailleurs est absurde, mais qu'il repose au contraire sur un certain nombre de Mystères, dans le sens le plus noble et antique du terme, dont le Mystère de la prophétie et de l'essence muhammadiennes sont un exemple parmi d'autres.

Par ailleurs, il semble qu'il y ait encore aujourd'hui des individus plus ou moins attardés pour penser que l'islam est la forme de la tradition « pour les arabes, ni plus, ni moins », comme l'écrivait un de mes correspondants qui se croit chrétien (en dépit du fait que dans le même message, il nie l'humanité du Christ !). C'est pourquoi, on ne citera jamais assez les paroles suivantes, du cheikh Mustafâ 'Abd-el-'Azîz (Michel Vâlsan) :




« l’Islam, forme traditionnelle venue en conclusion du cycle prophético-législatif et destinée à rester la seule forme pratiquée sur terre avant la fermeture du cycle cosmique de la présente humanité, accomplira une telle fonction, parcequ’il a été constitué avec les caractères de généralité humaine et d’universalité spirituelle exigées à cette fin. Le Sceau de la Prophétie a reçu les Paroles synthétiques (Jawâmi’ al-Kalim) correspondant aux prophètes législateurs antérieurs, et ceux-ci constituent ensuite autant de types spirituels réalisables en formule muhammadienne ; et c’est par la vertu de ce caractère totalisateur qu’il lui revient de recueillir et d’intégrer des éléments appartenant à l’ensemble de l’humanité traditionnelle. L’Arche de la fin de notre cycle est la Shari’a (Coran et Sunna) de l’Islam.
Le na sanscrit de son côté, et selon une signification corrélative à celle du nûn comme arche, correspondant à l’arc-en-ciel, phénomène céleste et lumineux, se rapporte naturellement à la connaissance transcendante. Le rôle qui revient à la tradition hindoue doit bien en effet être d’ordre informel et contemplatif pur ; il coïncidera, en somme, avec cet enseignement réservé dont parlait Abdu-l-Karîm al-Jîlî et que nous avons déterminé comme devant être celui du Vêdânta auquel, du côté islamique, répond celui du Tasawwuf et plus précisément encore celui de l’Identité suprême ou du Tawhîd métaphysique et initiatique. En tout état de cause, dans l’intégration finale dont il s’agit, l’Hindouisme ne peut jouer aucun rôle sur le plan formel de la tradition : sur ce plan, sa définition, conditionnée par le régime des castes, est non seulement inextensible hors le monde hindou actuel, mais aussi destinée à disparaître dans l’Inde même : ses modalités sociales et culturelles spécifiques ne pourront malheureusement pas survivre à la dissolution qui se poursuit à notre époque. Dans la phase actuelle du Kali-Yuga, les choses devant aller jusqu’à l’état, annoncé par les Livres sacrés de l’Inde, « où les castes seront mêlées et la famille n’existera plus », la base indispensable même de la tradition hindoue, le régime des castes, disparaîtra et lorsqu’un redressement traditionnel redeviendra possible, il ne pourra l’être que dans la formule fraternitaire d’une législation sacrée comme celle de l’Islam. » (L'Islam et la fonction de René Guénon, p.139)

Il y a toutefois un fond de vérité dans ce préjugé, si stupide soit-il : c'est qu'en effet, quelque part, accepter l'islam, c'est accepter l'arabe comme langue sacrée, et donc, pour un intellectuel, c'est s'arabiser d'une certaine façon. Et si nous nous en rapportons à notre expérience propre, nous n'avons d'ailleurs pas à nous en plaindre ; comme je l'ai raconté ailleurs, apprendre cette langue « magique » qu'est l'arabe était un vieux rêve d'enfance, formé aux alentours de mes douze ans, et réalisé « comme par magie », presque sans efforts, des années plus tard. Pour moi, l'islam allait de paire avec l'arabité, mais l'arabité du coeur, c'était une évidence qui m'a toujours sauté aux yeux et que je n'ai jamais songé à remettre en cause, tellement la beauté et la richesse de cette langue justifiait presque à elle seule ma conversion. Et s'il y a bien une chose dont je suis fier aujourd'hui, c'est d'être « devenu » arabe, de pouvoir partager les merveilles de cette culture de l'esprit, et, à travers mon activité de traduction et de commentaire, faire partager à d'autres les beautés des trésors cachés de la littérature arabe, en particulier de la littérature spirituelle soufie, la seule d'ailleurs qui m'interpelle vraiment. Pour moi, la beauté de l'arabe n'est pas naturelle, elle est surnaturelle : c'est la langue universelle, la langue parfaite. Elle possède une saveur en bouche à nulle autre pareille, et je parle en tant qu'amateur des langues en général. En tant qu'amoureux du persan, de l'ourdou, du hindi, notamment, et du français, ma langue maternelle, bien entendu ; même en tant qu'amoureux du néerlandais, sous la plume de Guido Gezelle ou de Ruysbroeck l'Admirable. En toute langue, il y a une beauté cachée, une certaine pensée secrète qui oriente subtilement, de l'intérieur, tout assemblage de vocables qui se forme dans cette langue, et cette variété providentielle est une richesse, au même titre que la variété des livres ; mais l'arabe, j'en suis intimement persuadé, jouit à cet égard d'un statut particulier, étant donné qu'il est la langue du premier et du dernier des envoyés, celle dans laquelle doit être formulée la synthèse ultime du savoir universel. C'est comme si toutes les beautés de toutes les langues étaient rassemblées en elle, comme le Coran rassemble la beauté de tous les livres, sans la supprimer. Oui, je suis un amoureux de l'arabe avant même d'être musulman, et je ne conçois pas qu'il puisse en être autrement.
Pour ceux que cette déclaration d'amour laisseraient sceptiques, voici un petit exemple, emprunté à ibn 'Arabî, de cette beauté surnaturelle de la langue arabe à laquelle je ne résiste pas :

« Pour revenir à ibn 'Arabî, on trouve dans ses Futûhât une doctrine assez subtile basée sur le nombre trois, doctrine selon laquelle la Présence divine comprend trois éléments : l'Essence, les Attributs, et la Relation qui les unit, représentés respectivement par les lettres A (alif), Z (zay), L (lâm) qui forment le mot AZAL, éternité, qui résume la Présence divine dans son ensemble. A pour l'Essence, car il est le symbole par excellence de l'Unité ; lâm, de même, est un symbole traditionnel de la relation, de l'existence relative, ainsi dans la grammaire arabe c'est la préposition « li », pour, qui indique qu'une chose est « pour » une autre, se rapporte à elle. Quant au Z, il semble que l'explication se trouve dans le fait qu'il correspond au nombre sept, or comme on le sait il y a sept Attributs divins (principaux). On peut aussi, éventuellement, le rapprocher du mot « ziyâda », « adjonction », car les Attributs sont d'une certaine manière « adjoints » à l'Essence.
Maintenant, la présence humaine se compose des mêmes éléments (Essence, Attributs, Relation), mais représentés cette fois par les lettres N (nûn), Ç (çâd) et D (dâd), ce qui est un peu plus délicat à expliquer. Car dans cette explication apparaît notamment la relation de l'homme à Dieu, sans lequel l'homme ne serait pas « complet », ce qui n'est pas le cas de Dieu (qui est complet par Lui-même, sans l'intervention de l'homme). Pour ce qui est du nûn, IA explique lui-même qu'il comprend les trois lettres formant la Présence divine ; c'est la Présence divine totale au coeur de l'Essence humaine, de son Essence « non-qualifiée et non-manifestée ». La lettre çâd, qui correspond chez l'homme aux « Attributs » divins, est pour le mot çûra, « forme » ; elle a (idéalement) la forme circulaire, qui est « la forme des formes », « contenant en puissance toutes les autres » (dixit ibn 'Arabî), de même que la « forme » humaine est totalisante par rapport à la manifestation universelle. Reste le dâd : pourquoi le dâd symbolise-t-il ce qu'il faut désigner comme la « relation » entre l'essence « non-qualifiée » de l'homme et sa « forme » extérieure ? Les indications d'IA sur la lettre dâd, très énigmatiques, montrent que cette lettre est liée profondément à la Miséricorde-Rahma, ce qui nous ramène – comme par enchantement – à des choses déjà bien connues. Or celle-ci, - la Rahma – en tant que « mère des Attributs », occupe une position médiane dans la Présence divine elle-même, étant comme le lien entre l'Essence et le reste des Noms et Attributs ; une première chose donc est que pour comprendre la nature du lien entre essence et forme chez l'homme il faut... revenir à la Présence divine : la lettre dâd a été comme « déplacée » de la présence divine à la présence humaine ; c'est peut-être pour cela qu'IA, dans le chapitre consacré aux lettres, dit entre autres à son sujet : « amâmahu lafadhun bi wujûdihi asrâ bihi al-Rahmânu min Malakûtihi » (Il y a devant lui une parole par l'existence de laquelle le Tout-Miséricordieux l'a fait voyager depuis son Malakût – lieu des Intelligences angéliques), ce qui renferme idée d'un déplacement, oeuvre de la Miséricorde. On pense naturellement à des termes comme FayD (émanation), ifâDa, iDâfa, qui ont tous un rapport plus ou moins direct avec la question : la relation (iDâfa) de l'homme avec lui-même (ou de sa « forme » à son « essence ») est le résultat d'un fayD divin initerrompu...
d'autre part, le vers précédent dit (toujours sur le Dâd) : « kamâluhu min ghayrihi fî hadratay RahamûtiHi » : sa perfection lui vient d'un autre dans les deux présences de Son Rahamût. Quant au début de la poésie, il établit un lien entre le Dâd et le dévoilement du secret d'Allâh dans son Jabarût : on pense alors au Resplendissement suprême, au lien étymologique du Dâd avec la lumière et la divinité dans les langues indo-européennes : Daw', Diyâ', Dev, Deus... Mais la clef de l'énigme vient tout simplement de Dâ'a, qui veut dire resplendir et dont le nombre est le même que celui des mots Kamâl (qui figure comme indice dans le vers cité) et surtout Kalâm, la Parole ! Ou, si l'on préfère, c'est le Dâd même, symbole du FayD ou du resplendissement divin à lui seul, qui est numériquement égal aux racines KML et KLM. La Lumière, c'est la Parole, le Verbe, Lumière de Dieu et lien entre Lui et sa Création ! De même, c'est le Verbe propre de l'homme, résidant dans son coeur, qui est sa lumière, sa lumière intérieure, divine, qui relie ses aspects manifesté (forme) et non-manifesté (essence). (Cf. La poésie : « inna-l kalâma lafi-l fu'âdi wa innamâ/ ja'ala-l-lisâni 'ani-fu'âdi dalîlâ », « certes la parole est dans le coeur/ et la langue n'a été faite que comme interprète du coeur », vers célèbres cités entre autres par Ghazâlî dans son Ihyâ').
Quant aux « deux présences » du Rahamût, qui est le « monde de la Miséricorde », il s'agit évidemment des Présences divines associées aux deux noms al-Rahmân et al-Rahîm, qui, ensemble, forment la Présence de la Miséricorde (Rahma) totale. Or nous savons que celle-ci est la source du Verbe et la « racine » de toute chose créée (manifestée)
Tout ceci d'ailleurs se comprend encore mieux à la lumière de l'enseignement connu d'ibn Barrajân d'après lequel le verbe, le Amr, opposé au Khalq, est en tout être vivant la « trace » du divin – d'al-Haqq – au centre de cet être. De même que pour ibn 'Arabî, tout appartient à al-Haqq, la Vérité principielle qui se tient au delà de tous les opposés, toutefois le monde du 'Amr totalise tout le bien, tandis que le Khalq est le lieu du mélange de la lumière et de l'ombre, du bien et du mal, etc.
Notons aussi que le nom de la lettre Dâd, le mot Dâd lui-même, a le même nombre (95) que le mot « Kalimah », qui signifie aussi « parole », la Parole dans le sens du Verbe-Logos, équivalent de la Réalité – signification attestée par le Coran – Jésus appelé « KalimatuHu », « Son Verbe » - et par Kachânî dans son dictionnaire, entrée kalima. Et le mot Daw' qui signifie Lumière Resplendissement – Maçdar de Dâ'a – sur lequel il y aurait beaucoup à dire : signe de la Lumière divine accouplé au signe de l'Homme universel (Wâw) – a le même nombre (96) que KalâmuHu, « Sa Parole ». Finalement, si l'on prend les lettres finales de ces deux mots qui sont numériquement identiques « Lumière (divine) » et « Sa Paroles », c'est-à-dire les lettres Hâ' – qui dans ce contexte représente Allâh Lui-même – et Wâw – qui représente toujours l'Homme universel, on obtient le mot Huwa, « Lui », désignation du Soi ou de l'Ipséité divine, symbole de l'Identité suprême, qui est la « Vie intérieure » de l'Unité...
Il y a encore cette circonstance pour le moins intéressante qui pourrait expliquer le second vers d'ibn 'Arabî sur le Dâd : « il y a devant lui une parole par l'existence de laquelle Al-Rahmân l'a fait voyager... » : en effet, si l'on pense au mot FayD, « émanation », dont on a vu plus haut l'importance, on voit qu'il peut se décomposer ainsi : Fay-D. Or, Fay' en arabe signifie l'ombre... étant donné que le Dâd est un symbole de la Lumière universelle, on peut en déduire ceci : que l'émanation divine vers Ses créatures est un composé de la Lumière essentielle et de « l'ombre » qui représente la Matière informe, « reflet de l'universelle passivité des choses »... C'est à nouveau la doctrine de la « lumière créée » ; or, si l'on atteint ici un niveau de subtilité qui tient du rébus, il est au moins impensable qu'ibn 'Arabî n'ait pas remarqué que l'émanation, Fayd, contenait « l'ombre », fay'... » (Extrait de mon commentaire à la traduction de L'entrave du partant ('uqlat al-mustawfiz))

Mentionnons encore certains faits importants liés à la transcendance de l'être muhammadien tel que le considère la doctrine éternelle dont nous ne sommes que l'humble interprète. Seyyidinâ Muhammad était autrefois reconnu comme celui a qui avait été donnée « la science des premiers et des derniers », formule importante en elle-même ; les « premiers » désignant toutes les communautés humaines qui ont précédé, avec les sciences particulières – ésotériques pour la plupart – qui leur était échues ; quant aux « derniers », il s'agit des saints qui termineront le cycle, et la formule signifie alors que les connaissances diverses et variées dont ils pourront faire état, et qui constituent l'apanage de ces saints à l'exclusion de ceux qui les auront précédés – et cela, quelle que puisse être la noblesse incomparable des doctrines que ceux-ci auront professées – auront pour source et pour réservoir intarissable l'esprit de Muhammad, toujours vivant et agissant, que la mort n'atteint pas. Par « science », il faut entendre ici quelque chose de plus qu'une simple représentation mentale de la réalité ; quelque chose qui s'identifie, en son sens le plus éminent, avec l'existence et avec la réalité même. C'est l'essence de la réalité concentrée dans cet attribut divin qui a reçu précisément le nom de Science, et qui, en tant qu'attribut, n'est « ni identique à l'Essence, ni autre qu'Elle », suivant la formule consacrée ; c'est à la fois le modèle et la source de toute réalité, en tant qu'avant même de se manifester pour elle-même, et a fortiori pour autrui, la chose doit d'abord être manifeste pour son Principe divin, être conçue et connue de Dieu, ce qui constitue l'essence même de la science. Le processus désigné sous le nom de révélation n'est pas essentiellement différent du processus de création ; il s'agit, dans tous les cas, d'une forme de manifestation. Le Coran, modèle et synthèse de toute révélation, contient synthétiquement l'univers manifesté comme il contient toute science – et bien sûr, par « Coran », il faut entendre ici l'exemplaire céleste, éternel, incréé, dont le livre que nous récitons n'est que le symbole, le témoin de la présence en ce monde. Selon al-Jîlî, le mot Coran, pris dans son acception la plus haute, ne désigne rien d'autre que l'Essence même, en tant qu'Elle Se révèle à Elle-même, par Elle-même. Or, on connaît le hadith de 'Aïcha, l'épouse du Prophète, qui identifie ce dernier au Coran – un « Coran qui marche », un Livre en action. Il faut entendre par là que Muhammad est lui-même la Révélation totale, et plus encore, il est l'Essence, l'Essence en tant que Révélation, savoir de l'Essence.